Sophie de Heaulme
L’impossible difficulté
27.07.07
« Je suis à la lisière d’une impossible difficulté. »
Je le regarde,
Il est mou, évasif, les yeux dans le lointain.
Puis il me lance une œillade maligne,
Bleu lumineux, encore qu’un peu hagarde,
Je ne dis rien,
Je crois que j’ai compris :
Il me dit que maintenant pour lui tout est joué.
Les mots se trainent, vacillent, veulent dire mais ne disent pas.
J’écoute ce qui ne peut se comprendre,
Je ne peux qu’essayer d’entendre,
Le son, l’émotion, même si elle est multiple,
La syntaxe qui ripe,
Impossible de la mettre au pas.
C’est l’insistance parfois qui connote,
Arrive comme une vague que je ne désire pas entendre,
Me pousse contre le mur comme une note,
Immobilisante,
Enivrante.
Où es-tu ?
Comment vais-je te trouver ?
Tu es là de biais,
Je suis dépassée.
Je dis « oui »
Pour t’encourager,
Avant je répétais,
Mais c’est insultant de répéter des inepties.
Alors mon silence et mes yeux insistants
Eux aussi, maintenant,
Portent avec toi cette maudite partition.
J’apprends à ne plus désirer.
C’est ce qui fait que je tiens.
Je ne peux désirer à ta place
Le monde, les amis, les souvenirs :
Je fais avec toi le constat.
Mais on est toujours en vie,
Et c’est là que blesse le bât.
Tu étais conservateur au Muséum d’Histoire Naturelle,
Tu aimes la pensée stricte et rigoureuse.
Tes mains racontent
Et la phrase peu soigneuse,
Et les pensées réelles,
Qui se sont fait la belle,
Enfin ce que tu voudrais en dire,
De cette difficulté impossible.
Et si je te prenais à la lettre ?
Et si une difficulté pouvait réellement être impossible ?
Retournons le verre :
Une difficulté
Pourrait-elle
Etre désirée ?
Mais alors que serait-elle… ?
Et peut-on encore se rajouter des problèmes
Quand on en a autant que toi,
En ribambelle ?
Je tais mes hypothèses,
J’écoute les indices foireux
Que tu me donnes à grand peine,
Ton jeu de mots perpétuel
Sur les mots qui sont laids,
Ce qui te permet
De disserter sur les mollets,
Et pas ceux de ta femme…
Ton regard étroit quand tu sens que tu vas te casser la figure,
Ton teint blafard
Sous la peinture.
Soudain j’ai l’impression de me réveiller
Est-ce l’accumulation de mon impuissance
Ou ta ténacité ?
J’ai peur de voir le sens
De tes mots enfiévrés
Tellement je ne les attendais plus,
Tellement c’était foutu.
Je tente une démonstration
En te prévenant
De ta probable déception,
Bonant malant.
Je te demande, faussement assurée,
Si par hasard tu n’es pas en train de dire
Qu’au bord de ton vacillant navire,
Tu aimerais bien, la difficulté,
Du doigt la toucher,
La palper, la sentir, l’interviewer,
Comme quand tu étais chercheur,
Comme quand les énigmes de la nature te propulsaient
Au septième ciel,
Avant que tu ne sois pleureur
Devant la faillite, toi qui étais :
Un découvreur.
Alors tu me regardes,
Simplement,
Communément,
Et d’une voix de tous les jours,
Tu me dis « oui, c’est ça. »
Un quart de seconde pour se trouver, se rencontrer enfin,
Puis ton regard repart
Au lointain
Et les mots décousus reprennent leur tour.
A bientôt… ?
…………